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En Tunisie, les entrepreneurs veulent sortir du silence

En Tunisie, les entrepreneurs veulent sortir du silence

L’écosystème startup tunisien a longtemps été un mystère pour moi, les entrepreneurs tunisiens faisant preuve, à quelques exceptions près, d’une grande discrétion. L’absence de blogs locaux, de couverture médiatique, de groupes - online ou offline - ou d’associations structurant ces écosystèmes, et, jusqu’il y a peu, d’espace de coworking, rend l’écosystème particulièrement dur à percer pour un étranger. 

J’ai donc décidé de me rendre sur place fin février.  En une semaine, j’ai pu découvrir une communauté extrêmement motivée, prête à sortir du silence forcé dans lequel l’ancien pouvoir en place avait plongé le pays pendant plusieurs décennies, et à reprendre contrôle de leur pays et de leur économie.

Des entrepreneurs nés mis au silence avant la révolution

« Les Tunisiens sont des entrepreneurs nés ».

Voilà ce qu’a à dire Houssem Aoudi, organisateur des TEDxCarthage et cofondateur de Cogite, le premier espace de coworking tunisien lancé en septembre dernier, de ses concitoyens. Pourtant, rares sont ceux à avoir lancer une entreprise ou à s’être fait un nom. Cela se comprend. Peu de pays ont connu un climat aussi peu favorable à l’entrepreneuriat que la Tunisie sous le régime Ben Ali.


Crédit Photo : Cogite 

Premier obstacle majeur : la corruption et la mainmise des grandes familles au pouvoir. Comme si cela n’était pas suffisamment handicapant, les familles en place n’hésitaient pas à forcer les entrepreneurs qui réussissaient à vendre leur entreprise, souvent pour une fraction de leur valeur réelle.

La peur du vol d’idée ou du rachat forcé a conduit à une grande discrétion, m’explique Housseim qui me confie, « On montre ce qu'on a mais pas ce qu'on fait ».

Très logiquement donc, jusque récemment, les rares qui osaient se lancer se faisaient discrets, privant les jeunes aspirants entrepreneurs de success stories, d’accompagnement ou de conseils. Les exemples de succès et l’accompagnement, pourtant si important dans les premières années d’une entreprise, étaient d’autant plus difficiles à trouver que tout s’y fait par le bouche-à-oreille, laissant l’écosystème sans organisation structurante ou de référence (et privant par la même occasion le pays de visibilité régionale et internationale nécessaire pour grandir).

Si seulement, c’était le seul problème : la création administrative d’une entreprise est aussi un véritable parcours du combattant. Il faut compter 140 jours pour immatriculer une entreprise, continue Houssem, et les banques ne donnent des crédits qu'aux employés et aux fonctionnaires, et quand bien même un entrepreneur réussirait à obtenir un crédit, il serait redevable du crédit à vie en cas de faillite.

Pas étonnant donc que les Tunisiens préféraient s’assuraient un poste stable, auprès de l’Etat, et se débrouiller pour ouvrir un commerce de proximité à côté.

Une communauté qui veut rompre le silence et prendre les choses en main

Depuis la révolution de 2011, les choses ont changé. « Les gens ont pris conscience qu'ils pouvaient faire des choses, prendre contrôle de leur vie » estime Rym Baouendi, cofondatrice de Cogite.

Parallèlement la fin du régime Ben Ali a permis de mettre fin à cette peur du rachat forcé et a fait sauter une première barrière. 

De nombreux Tunisiens ont décidé de faire sauter les barrières, pratiques et psychologiques, restantes. Rym Baouendi, Houssem Aoudi et Zied Mhirsi en sont des parfaits exemples. Ensemble, ils  ont lancé Cogite afin d’apporter une réponse à toutes les excuses que les Tunisiens pouvaient trouver pour ne pas se lancer, et permettre aux vrais entrepreneurs de se lancer, à travers leur espace de travail et leur réseau d’entrepreneurs.


Crédit Photo : Cogite

Le succès ne s’est pas fait attendre. Les habitants de Tunis se sont vite appropriés l’espace. Si pendant les trois premiers mois, les Tunisois se sont contentés de venir assister aux  évènements organisés par les partenaires de Cogite, au bout de 3 mois, ils ont commencé à venir y travailler. Et six mois après le lancement, l’entreprise a déjà réussi à équilibrer la balance, la bibliothèque est remplie de livres offert par la communauté, les murs recouverts de messages dont le fameux #ebnisTounes (nous construisons la Tunisie, en dialecte tunisien) et s’apprête à ouvrir un nouvel espace dans le centre de Tunis. Une boulangerie locale, enthousiasmée par le projet, vient même parfois offrir du café et des pâtisseries (et elles en valent le coup, je peux en témoigner).

Et les initiatives se multiplient, lors de mon séjour fin février, trois évènements ont eu lieu en moins de dix jours : les TNWebDays, le Salon de l’entrepreneuriat et un Apéro Entrepreneurs, un rendez-vous mensuel lancé il y a quatre mois et qui a réuni dès sa première édition 70 personnes, contre 20 espérés par les organisateurs. A noter aussi, les Café Carrefours, le Social Media Club et bien d’autres à qui nous dédirons un prochain article.

Pour autant, un obstacle majeur demeure : le manque de financement. Les fonds d’investissement à capital risque, les SICAR, Sociétés d'investissement de capital à risque, s’illustrent souvent par leur frilosité face au risque - un comble… - puisque gérées par des banques. Certains Tunisiens ont bien essayé en 2011 d’investir personnellement en tant que business angels mais ont été confrontés à des problèmes autant légaux que pratiques. Si leur statut légal est maintenant clarifié grâce au travail de leur association Carthage Business Angel, ils doivent toujours faire avec une offre peu mature, d’oû la création d’un accélérateur, Univenture, et d’une agence privée d’accompagnement, WikiStage pour aider les projets innovants à se développer. 

D’autres organisations prêtant à taux zéro ou financant des entreprises ont suivi, dont Startup Factory, l’accélérateur financé par l’opérateur télécom Tunisiana, IMPACT, l’incubateur pour entreprises sociales de l’association Lab’ESS, Réseau Entreprendre, pour le financement à taux zéro, ou encore le Microsoft Innovation Center (MIC).  Mais ces organisation proposent des tickets faibles, et il n’est donc pas rare donc de rencontrer des startups qui cumulent les aides, comme Disrupt CK, aidée par WikiStage, le Réseau Entreprendre et le MIC.

Un afflux de fonds et d’aide internationale

La révolution a aussi permis de changer la perception (et l’intérêt) qu’avait la communauté internationale pour ce petit pays d’à peine plus de 10 millions d’habitants. En à peine une semaine, j’ai rencontré deux Européennes venues, chacunes, enquêter sur l’entrepreneuriat dans le pays et pu rencontrer plusieurs organisations bénéficiant d’aides de fonds étrangers, comme le fameux QFF, le Qatar Friendship Fund ou la GIZ, l’agence de collaboration internationale allemande. 

Mêmes les nombreux entrepreneurs européens établis en Tunisie pour réduire leurs coûts de production s’y sont mis. Ils sont plusieurs à avoir réussi à se faire une place dans cette communauté discrète et à participer à son organisation, comme Charles Dusart, fondateur de eTâches, un service permettant de déléguer des tâches de la vie de tous les jours, destiné aux Français, et qui a lancé les Apéro Entrepreneurs et a écrit un article pour Wamda sur les défis de l'entrepreneuriat en Tunisie.

Pour Housseim, ces fonds internationaux finiront par repartir, il faut donc en profiter maintenant pour créer un mouvement entrepreneurial durable.

Maintenant que les Tunisiens font leur part du travail, c’est au tour du gouvernement de s’engager. Seul lui pourra apporter des solutions pour faciliter le développement de l’entrepreneuriat en facilitant le processus de création d’entreprise et de financement. En attendant, les mois qui viennent promettent de beaux lancements de startups.

En juillet dernier, Wamda a lancé la version francophone de Wamda pour donner aux entrepreneurs du Maghreb une plateforme sur laquelle découvrir ce qu’il se passe dans leur pays, la région Maghreb ainsi que le reste de la région MENA, mais aussi pour offrir une couverture régionale et internationale aux startups du Maghreb.

Plusieurs contributeurs et informateurs tunisiens devraient nous joindre pour mieux couvrir le pays et nous vous promettons de consacrer plus d’articles à la Tunisie. En attendant, n’hésitez pas à nous faire part de toute actualité pertinente ou à nous proposer des articles en envoyant un email à aline@wamda.com

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