A la rencontre de la communauté de joueuses qui stimule la culture créative en Arabie Saoudite

Il parait que les jeux vidéos participaient à faire de ce monde, un monde meilleur. D’après Jane McGonigal, experte en jeux vidéo, ceux-ci nous permettraient d’être plus optimistes et productifs, de développer des liens sociaux, de chercher un sens à nos vies et nous aideraient à surpasser les moments difficiles.
Pourtant, on ne parle aujourd’hui que de l’aspect négatif des jeux vidéos, à savoir sa « bro culture » (ou culture de potes) où le harcèlement sexuel est monnaie courante, où un appel pour plus de leaders féminins amène à un réel bashing sur Twitter, où les femmes dirigeantes sont considérées avec scepticisme et où 88% des employés sont des hommes, bien que presque la moitié des joueurs sont en fait des femmes.
Un pays peu attendu est à l’origine d’un changement rapide en la matière : l’Arabie Saoudite.
Alors que la tradition de la ségrégation hommes-femmes dans le Royaume pose des problèmes pour la main d’œuvre (notons que la ségrégation n’est pas franchement recommandée pour trouver une solution au sexisme), un groupe de joueuses a permit de former une communauté, favoriser la solidarité et réclamer que les jeux vidéos soient utilisés pour transformer culturellement la société.
En réunissant 2000 femmes pendant trois jours, G-Con (abréviation de « gaming convention ») est un des plus gros évènements au monde de jeux vidéo réservés aux femmes. Dirigé par Tasneem Salim du haut de ses 23 ans et d’un groupe de jeunes diplômées en informatique devenues développeuses de jeux vidéo, l’événement s’est tenu à Riyad en octobre dernier. Il était composé de tournois de Call of Duty Black Ops et de The Last of US, d’une compétition entre développeuses de jeux vidéo, de toute une série de bandes-annonces de jeux vidéo et même d’une compétition cosplay (abréviation de « costume play ») dans laquelle les participantes s’habillent comme leurs personnages de jeux vidéo préférés.
Grâce au soutien de poids lourds des jeux vidéo comme PlayStation, Nintendo ou Ubisoft, mais aussi avec le soutien de Verso, un incubateur pour entreprises locales, G-Con s’efforce de transformer ce hobby en un outil d’embauche. D’après la créatrice Tasneem, le monde des jeux vidéo est un secteur de choix pour les saoudiennes, quand on sait que seulement 20% d’entre elles sont actives et que le développement de jeux leur permet de travailler de chez elles avec des heures flexibles.
Elle explique que « de nombreux studios permettent de travailler à distance en tant que programmeurs, artistes ou testeurs, en particulier dans le cas d’apps mobiles. On peut, en outre, publier son travail directement sur iOS ou sur Android et toucher son salaire, sans nécessairement passer par un éditeur ou un studio ». Alors que les Saoudiennes recherchent de plus en plus à acquérir des compétences en informatique, G-com espère pouvoir transformer ces compétences en carrières viables, en offrant des sessions de formation et en permettant aux femmes de publier leurs jeux vidéo en ligne.
Mais G-Com n’est pas qu’une simple plateforme pour l’embauche ; Tasneem et G-Com espèrent bien encourager une nouvelle vague de créativité en Arabie Saoudite.
Le message de Tasneem est clair : « Nous appelons les gens à imaginer un futur où les jeux vidéo et les industries créatives pourraient s’appliquer à notre culture. Nous pensons que les sociétés privées de culture sci-fi ne peuvent pas avancer. Nous espérons allumer une étincelle en parlant de science-fiction locale et en montrant comment des femmes peuvent développer le futur ».
Elle explique que le monde des jeux vidéo n’est pas le seul à être stigmatisé. « Quand on travaille dans le domaine des jeux vidéo, les gens ne vous prennent pas au sérieux. Il en va de même pour les sphères connexes comme l’animation, la scénarisation et le développement artistique ; [ces industries] se sont vraiment développées depuis seulement deux ou trois ans ».
Pourtant la création culturelle et la science-fiction locale sont en pleine expansion. Un exemple parlant : une des bandes-annonces projetées à l’événement, extraite du premier roman de science-fiction saoudien, intégrait des thèmes traditionnels, comme les djinns, dans une histoire futuriste. Pour Tasneem Salim, « il y a un côté très local mais avec une configuration très inattendue ». (Pour aller plus loin, le créateur du film Yassar Bahjatt explique comment la sci-fi arabe peut rêver à un futur prometteur dans son discours TED@Doha).
G-Com prévoit aussi d’améliorer la qualité de l’éducation locale. En faisant de l’éducation le thème de sa compétition pour développeurs, la convention a récompensé les jeux permettant aux jeunes d’apprendre des concepts complexes. Le jeu vidéo qui a gagné (voir bande-annonce ci-dessous) présente un extraterrestre qui enseigne la physique alors que le jeu qui est arrivé en second place utilise un personnage miniature qui se balade dans le corps humain pour enseigner la biologie. Tasneem affirme que « [leur] objectif c’est que ces jeux soient un jour utilisés dans les écoles, une fois qu’ils seront passés par le processus d’incubation chez Verso ».
Ces aspirations peuvent sembler ambitieuses pour un groupe de jeunes diplômées pourtant G-Com a récolté beaucoup de soutiens, surtout de la part de ses homologues masculins chez GameTako, une communauté de joueurs indies aussi basés à Riyad. Dirigé par son créateur Abdullah Hamed, Tasneem raconte que GameTako « était l’un de [leurs] premiers sponsors et [qu’ils ont] toujours collaboré avec eux ».
Les femmes de la communauté digitale ont aussi accouru pour participer à l’événement. Le patron de Tasneem, Esra Assery, la dynamique fondatrice de l’agence de marketing digital local eTree, a fait beaucoup pour soutenir ce projet, explique Tasneem Salim. Lors de la table ronde Wamda for Women à Riyad en mai dernier sur les politiques et les modèles à suivre dans le monde du travail, Esra Assery avait réussi à nous convaincre de l’importance que eTree apporte au développement de l’esprit créatif chez ses employés.
Ces temps-ci, Tasneem admet qu’elle n’a pas vraiment le temps de jouer. Même si elles ont grandi avec Donkey Gong et Super Mario, son équipe et elle doivent maintenant trouver du temps pour finaliser les derniers titres.
Et comme si ces ambitions ne suffisaient pas, son équipe finalise un documentaire sur les développeuses locales de jeux vidéo et sur les membres d’Ubisoft, mettant en avant l’expansion du milieu dans tout le monde arabe.
L’idée c’est de pouvoir faire parler de celles qui deviendraient les nouvelles stars de la communauté. Tasneem Salim espère à ce sujet que « on pourra commencer à voir des success stories, à la fin de cette année, que ce soit dans notre communauté ou ailleurs. On espère soutenir et faire partie de cette success story et continuer à nous développer ».